Il ajusta machinalement la sangle qui entourait sa taille, resserrant l'armure légère qui pesait sur ses larges épaules. Conçue pour ne pas entraver ses mouvements tout en apportant de la chaleur, pensée et imaginée pour eux, les agiles explorateurs.  La chair à canon. Ces maigres protections étaient tout ce que feu la Ruche pouvait se permettre de leur offrir. Un simulacre de bienveillance dans cet océan de faux-semblants. Tout le monde savait que ces morceaux de tissus, aussi épais soient-ils, n'étaient pas suffisant pour les protéger de cet interminable hiver. Mais qui s'en préoccupait au fond. N'importaient que les ressources, que la sécurité du bon peuple, que le pouvoir. Mensonges. Est-ce tout cela en valait la peine ? Est-ce que risquer sa vie à l'extérieur avait un quelconque intérêt au fond ? Il s'empara de l'arme blanche qui trônait sur la table devant lui et la glissa sur sa hanche. Il n'était pas encore prêt à quitter le vaisseau et en avait parfaitement conscience. C'était sans doute cette lucidité qui lui donnait le courage de rester parmi les siens. Car personne ici ne le retenait désormais. Bien sûr, il avait su trouver refuge auprès d'autres intouchables indignés, mais même cela sonnait faux à ses oreilles. Pourtant, le marché noir était devenu une de ses dernières véritables motivations. Égoïstement, aider la veuve et l'orphelin lui donnait la sensation d'être à nouveau quelqu'un.

Il ne fit même pas mine de se tourner vers les nouveaux venus, les chasseurs qui l'accompagneraient dans cette mission, alors que ces derniers se pointaient à la porte bancale de l'abri. Immédiatement, ils turent leur conversation et le silence retomba sur la pièce, seulement perturbé par le vent que l'on entendait filtrer à travers les fragiles murs. Caïn, par son silence et son indisposition à prendre parole, imposait malgré lui un profond malaise dans toutes les situations. L'un des hommes se racla la gorge et prononça un vague "Nous sommes prêt." qui s'évanouit aussi vite qu'il était arrivé. Évidemment, qu'ils étaient mal à l'aise. Ils l'étaient tous, lorsqu'il s'agissait de faire équipe avec Caïn. Personne ne remettait en doute ses aptitudes à la survie, sa force ou son agilité. La seule chose qui le distinguait d'un chasseur était sa mémoire surprenante et son sens aiguisé de l'orientation lorsqu'il s'agissait de reconnaître un terrain. Non, le malaise était bien plus profond que cela. Il remontait à des années auparavant. Un temps où son nom avait été souillé, prononcé avec dégoût par certains de ses pairs, à juste titre. Mais qui aurait pu croire que dans une société si parfaite et idéale, prendre parti pour la justice était un crime ? Caïn était un paria, mais un des meilleurs dans son domaine. Alors, la meilleure chose à faire, et que tous faisaient admirablement bien d'ailleurs, était peut-être bien de l'ignorer et de ne lui accorder de l'importance que lorsqu'il savait se rendre utile. L'Exode n'avait pas changé grand-chose à cette routine, à ceci près qu'il dormait moins bien qu'avant. Ses yeux très expressifs se posèrent sur le mur qui lui faisait face et il se redressa de toute sa hauteur dans un soupir, fin prêt pour cette opportunité. Peut-être pourrait-il profiter de cette chasse pour récupérer quelques composantes. Il n'avait rien à perdre dans cette histoire et sa vie n'avait pas grande valeur en regard de ces vulgaires pièces détachées.

Il se tourna finalement vers les deux hommes, dont les silhouettes suréquipées se détachaient dans l'encadrement de la porte. Ils restaient plantés là, silencieux, dans l'attente d'un geste de sa part. La pensée que son mutisme était contagieux l'amusa, arrachant à sa gueule balafrée un sourire amer. Sans prononcer une seule parole, sans un seul râle de protestation, il s'avança vers eux et, se préparant à une imminente sortie,  remonta d'un geste mécanique le tissu autour de son cou jusque sur son nez, couvrant ainsi son sourire ainsi qu'une bonne partie de son visage. Sans un regard pour ses coéquipiers, il se glissa entre eux et ses bottes s'enfoncèrent dans la neige, alors qu'un froid mordant se glissait sous ses vêtements. Réprimant un frisson, il leur adressa un vague signe de tête en direction de la sortie du campement. Désabusé par la société qui l'avait vu grandir, Caïn se contentait d'agir comme il le fallait, remplissant son devoir dans l'ombre en attendant son heure.