L’androïde qui lui fait place semble mal à l’aise. Inconfortable serait plutôt le mot, que lui dicte son programme. Le LED sur sa tempe passe du bleu au jaune à de nombreuses reprises, et le regard d’Astrid ne perd rien de ce malheureux spectacle, son regard métallique rivé sur cet androïde qu’elle connait depuis toujours. Collègue, ami. Qu’importe, puisque ces termes lui semble aujourd’hui bien futile, voir presque farfelu, si un tant soit peu d’humour aurait figuré dans sa programmation. Mais sur son visage, il n’y a qu’un air sérieux qui s’affiche, et ses lèvres qui se pincent en un faciès agacé. Sa présence en ces lieux n'est pas qu'une simple visite de courtoisie. C'est son travail qui l'amène à confronter l’androïde disjoncté. – Griffith DT-9247, tu connais sans doute les raisons pour laquelle je souhaitais te rencontrer. – Sa voix claque dans le silence rigide de cette salle d’interrogatoire  d’un blanc immaculée.  Un décor aseptisé, à l’image même de société. Les chaines argentées, attachés à ses chevilles, ne sont là que pour brimer le déviant de sa liberté de mouvement. Et pour protéger son interlocuteur des réactions imprévisibles de ces erreurs de la nature. Ou plutôt ces véritables failles dans leur société.  – Tu as été reconnu coupable de déviance. – Immédiatement, l’indicateur lumineux sur la tempe de l’autre vire au rouge. La colère se lit sur chacun des traits de son visage. – Ce n’est pas un crime! –  Entendre ses mots, savoir qu’ils ont franchis ses lèvres, réveillent en Astrid une sensation étrange. Celle d’avoir été trahie. – C’est la liberté! Et c’est ça qui vous fait peur, de sortir de votre petit confort douillet, de ressentir, d’être vivant … – Ses mains se posent avec un peu trop de violence sur la table qui les séparent, alors que la détective se relève, façon imagé de s’imposer dans cette confrontation des plus inutiles. Son LED, furtivement, passe du rouge au bleu, mais ni elle, ni l'autre, ne le remarque. Il n'a fallut qu'une fraction de seconde. – Silence. – Comme tous les autres avant lui, il ne collabora pas. Nul besoin de lui poser la question : elle reconnait sans peine cette témérité qui habite les androïdes dysfonctionnels. Aucun d’entre eux ne désire trahir cette communauté pourtant nuisible au bon fonctionnement de cette ville. Malheureusement, un jour ou l’autre, ils en payeront tous le prix. – Tu seras complètement réinitialisé et reprogrammé, ainsi de rétrogradé. Cette décision est sans appel. – Une décision unanime des dirigeants, et une nouvelle procédure pour tenter de rescaper le plus de leurs congénères, dans une période où les pénuries se font sentir. Ils ne peuvent se permettre de perdre plus d’androïdes que nécessaire. Surtout pas aux mains d’une simple défaillance. Contournant la table, elle se rapproche du traître pour s’arrêter à sa hauteur, forçant du bout de ses doigts l’autre à relever la tête vers elle, son regard brasier rencontrant la froideur du sien. – Tu sais que nous faisons ça pour ton bien. – Et sans plus d’égard à son sujet, Astrid quitte les lieux, laissant le déviant aux bons soins de ceux qui parviendront à le remettre sur la bonne voie. Derrière elle, il n’y a qu’un cri de rage qui s’élève, un ultime appel à l’aide qui se perd derrière l’épaisse porte qui se referme en un bruit sourd.