La main, la ruche. Son enfance dans la ruche, elle ne s'en rappelle pas beaucoup. De ses yeux d'enfants, rien n'était si terrible. Rien n'était difficile. Elle regardait souvent son père partir pour assister à ces rencontres secrètes avec la secte. Kestrel, elle se souvient de toutes les rumeurs qu'elle entendait sur la secte alors que son père la tenait éloignée de ces histoires. Avant l'Exode, personne n'était même sur que les androïdes avaient survécus alors ses parents ont fait le choix de ne pas l'élever dans cette haine, sa mère a pris soin de lui inculquer les principes auxquels elle tenait le plus : ouverture, tolérance, détermination, force de caractère. Ces mêmes traits qui maintenant la torture dans ses choix entre ses propres opinions et l'amour de son père. Plutôt solitaire, à cause de la réputation de son père et de statut de sa mère en tant qu'intouchable, Kestrel a appris à se débrouiller et s'occuper seule, se plongeant dans la lecture. Pas le choix. Elle se montrait curieuse de tout et elle avait souvent comme passe temps d'aller questionner les chercheurs de nouvelles technologies et les médecins sur l'heure du repas. Insupportable petite fille la tête pleines de questions, elle était plutôt connue pour mettre son nez la où ça ne le regardait pas. Mais au final, elle n'avait rien d'extraordinaire, Kestrel. Pas aussi intelligente que son père, pas surdouée au combat, pas la plus jolie de sa classe. Kestrel, c'était une fille normale qui essayait de se frayer un chemin dans l'ombre de ses parents, qui eux, s'étaient fait une réputation, bonne ou mauvaise.

L'arrivée en ville. A cette époque, Kestrel pensait que l'Exode serait l'événement le plus éprouvant de sa vie. Les mois entiers passés à marcher dans le froid glacial, en descendant vers le sud, furent extrêmement durs. Du haut de ses dix-neuf ans et malgré son apparence frêle, la jeune femme possédait un organisme fort qui avait su se battre contre les températures extrêmes, les virus et la faim. La preuve étant, elle était arrivée en ville. Kestrel, elle avait des photos, elle avait appris le monde d'avant dans les livres d'histoires et dans les récits des explorateurs. Pourtant, jamais elle n'aurait pu deviner le sentiment de liberté qu'elle avait ressentie en observant les lumières de nuit, la grandeur des bâtiments et le bruit incessant des machines. C'est un tout nouveau monde qu'elle découvrait comme tant d'autres humaines et de ses yeux encore innocents, des possibilités nouvelles. Bordel. Elle en croyait pas ses yeux. C'est à ce moment que ses idées se mirent à diverger légèrement de celle de son père, parce qu'elle découvrait un monde qu'on lui avait caché, comme falsifié. Dans un même temps, Kestrel prenait conscience de la raison qui poussait la secte à détester les androïdes ; contre nature. Parfois, elle se demandait si justement, son père comme beaucoup, n'avait pas fini par penser de manière si radicale parce qu'ils n'avaient connus que la Ruche et la guerre. Si seulement, son père avait connu, pendant une infime partie de sa vie, dans sa jeunesse, la liberté qu'elle connaissait actuellement alors peut-être aurait-il vu le monde autrement. Kestrel, à cet âge naïf, elle ne se posait pas beaucoup plus de questions. C'est pour cette raison que le regard pétillant, elle se baladait dans l'appartement en centre ville dans lequel sa famille emménageait. Tous les changements auxquels elle faisait face perturbaient Kestrel plus qu'elle ne l'avouait et au lieu d'y penser, elle se réfugiait dans ses livres, ses curiosités et ses explorations. Son père avait toujours dit que la manière dont elle se comportait lui rappelait sa mère. Calme. Bornée. Futée. Curieuse. Une prédisposition naturelle aux catastrophes. Souvent, elle s'emportait et elle parlait sous l'impulsion, en disant le fond de sa pensée. Contradictoire, parfois. Kestrel avait toujours eu du mal à cacher ses pensées. On grandissait vite quand on surpassait des défis comme l'Exode. La jeune adulte souriait en observant sa mère qui essayait de rassurer son père sur leur décision d'emménager en ville. « Cermat, nous n'avons plus besoin de nous cacher à présent. Essaie d'imaginer la vie que pourra avoir Kestrel. » Dit-elle en lui caressant l'épaule amoureusement. Sa mère était un modèle d'ouverture. Ses deux parents étaient si différents que parfois, Kestrel se plaisait à croire que l'amour véritable n'avait pas de frontière. « Au milieu des androïdes ? » Demanda son père avec son air taciturne habituel, regardant sa femme comme si elle avait perdu l'esprit. « Dans la paix, Cermat. » Dit-elle en embrassant son mari. Kestrel ne dit rien, méditant sur cet échange, ne sachant pas vraiment où se trouvait sa place.

Le  décès. « Ma chérie. Kestrel, réveille-toi, vite. » Dit son père alors qu'elle dormait profondément cette nuit-là. Il était déjà en train de sortir des affaires de son armoire, les mêmes affaires chaudes qui l'avaient aidé à traverser l'Exode. Bizarre. Kestrel ne comprit pas tout de suite mais elle se hâta de se changer alors qu'il avait déjà disparu de l'autre côté de la porte. Lorsqu'elle le rejoignit, il était armé lourdement. « Papa ! Qu'est-ce qu'il se passe ? » il posa un doigt sur sa bouche en lui faisan signe de silence, tandis que sa mère lui caressait ses longs cheveux pour la rassurer. Il ne fallait bien longtemps pour se rendre compte du vacarme dans la rue, certaines personnes essayaient de s'enfuir alors qu'elles semblaient se faire attaquer. Cet épisode ébranla définitivement la vie de Kestrel ; en tout point, sa maturité, ses opinions, son caractère, ses choix. Ce fut la première fois qu'on lui mit une arme dans les mains. Son père n'avait pas eu besoin de parole cette nuit-là, son regard pénétrant avait été extrêmement clair : reste près de moi, sers-toi de ton arme si tu en as besoin, n'hésites pas une seconde. Kestrel ne posa pas de questions sur la manière dont il s'était procuré les armes ou sur le fait qu'il ait été réveillé avant la descente, comme s'il s'y attendait. Elle se doutait que la main avait sa part de culpabilité elle aussi. La guerre recommençait, en fait, elle ne s'était jamais vraiment arrêté. Pourtant, malgré toute la préparation dont son père avait fait preuve, malgré toute son intelligence, malgré toutes les connaissances de ses parents, le pire était à venir. Ils furent attaqués avant d'avoir eu le temps de s'enfuir réellement. Kestrel n'eut pas le temps de lever son arme qu'elle vit sa mère s'effondrer à côté d'elle. La jeune femme s'accroupit, elle s'entendit pousser un cri alors que des larmes commençaient à couler sur ses jours. Elle pouvait sentir la pression de son père qui essayait de la tirer en arrière alors qu'elle s'accrochait au corps de sa mère comme à une bouée de sauvetage. Kestrel refusait d'admettre la vérité et par dessus tout, elle refusait d'accepter de laisser son corps ici. Putain, c'était injuste. Dans un dernier geste désespéré, la force de son père la souleva, l'obligeant à courir. Sa haine envers les androïdes n'avait jamais été aussi forte, si bien, qu'elle ne comprenait même plus l'envie qu'elle avait eut avec sa mère de s'installer dans le quartier réservé aux humains. Elle ne comprenait plus sa mère. Depuis quelques semaines, elle la haïssait pour l'avoir abandonner. Puis, ensuite, elle s'est rendue compte que le meilleur moyen d'honorer sa mémoire, c'était peut-être de se montrer aussi ouverte qu'elle. Kestrel, elle dansait d'un pied à l'autre, ses opinions ne faisant plus de sens. Tout ce dont elle était certaine, c'est qu'elle s'accrochait à son père, parce qu'elle n'avait plus que lui au monde. Si elle devait bien avoir une allégeance, ce serait pour lui.