La journée avait été assez éprouvante et Beren s'était affalée dans son lit, alors que Baz était plus qu'en forme à côté d'elle. Les cliquetis incessants de ses outils étaient à deux doigts de la rendre complètement folle, et c'était une jeune femme très menaçante qui lui avait balancé un coussin en pleine tête, saccageant au passage ce qu'il était en train de bricoler. Le jeune homme haussa les épaules. J'm'en fous, ça s'refait en cinq minutes. Ce à quoi elle répondit par un râle avant de s'enfouir sous la couverture. T'es impossible, Baz ! En un rien de temps, la voilà endormie, perdue dans ses rêves qui d'ordinaire, étaient plutôt neutres. Depuis quelques jours, elle avait cette boule au ventre qui ne la quittait pas, comme si quelque chose de mauvais se préparait. Elle n'était pas tellement du genre à croire à ce genre de pressentiment. En temps normal, ça l'aurait même amusée, du genre, pouffer de rire. Son esprit rationnel et beaucoup trop cartésien l'empêchait de croire en un simple instinct. Et pourtant, pour la première depuis... probablement juste la première fois de sa vie, elle avait pris cette supposée mise en garde au sérieux. Ce n'était pas si improbable, après réflexion. Dans la Ruche, ils étaient en sécurité, entourés de technologies de pointe et d'un personnel sur-entraîné. Ils n'étaient plus si nombreux, malgré les quelques talents toujours présents, ils étaient simplement dans un milieu hostile, une Terre qui ne leur appartenait plus. Beren soutiendra toujours que leur altercation avec les Androïdes avait été une bêtise sans nom. Loin de chez eux, de leur petit confort, ils n'étaient plus si menaçants et selon elle, l'espèce humaine avait même fini par régresser. Ils s'étaient embourbés dans une situation qui ne tarderait pas à les dépasser. Quelques images se dessinèrent dans son esprit, une clairière, avec au bout une ville aux buildings d'une hauteur folle. Elle s'avançait, doucement, tout doucement, avant de vivre une sorte d'accélération jusqu'à se retrouver au coeur d'une rue passante. Les lieux lui étaient vaguement familiers, bien qu'elles ne les aient jamais vu avant. Elle savait, étonnamment, qu'elle se trouvait à Newhill. Tout semblait normal, une banale scène urbaine comme celles qu'ils avaient pu voir en photo sur leurs manuels scolaires. Et l'intensité des rayons du soleil se fit plus forte, jusqu'à devenir éblouissante, presque brûlante. Beren lança un oeil furtif vers ses paumes rougies, légèrement écorchées et puis tout devint plus calme. Les oiseaux faisaient du sur-place, les habitants restaient immobiles. Immobiles en la fixant. Immobiles en mouvant la tête à chaque pas qu'elle faisait en avant. Une peur l'envahit toute entière, avec ce besoin de courir le plus vite possible sans ne jamais se retourner. Puis une main l'avait attrapée, l'avait freinée dans cette course sans fin. Baz, complètement épuisée, affaibli. Et tout s'était écroulé. Absolument tout. La splendeur de la ville avait laissé place à des ruines, des flammes et des hurlements à glacer le sang. Une possibilité s'offrit à elle, une sorte de chemin tout tracé qui lui permettrait de sortir en - presque - sécurité et puis de l'autre côté, ce frère qu'elle avait chérit dès son premier souffle. Ses yeux la regardaient, la suppliaient de prendre la fuite, parce qu'un de nous deux c'est déjà mieux que personne. Ce genre de paroles complètement débiles que Baz aurait pu lui balancer au détour d'une conversation. La menace s'approchait davantage, et une sorte d'aiguille sur un cadran raisonnait dans son esprit, comptant les secondes, qui s'allongeaient, devenaient insupportablement longues. Des bruits mécaniques s'approchèrent, quant à eux, beaucoup trop vite. Beren avait l'esprit confus, ne savait plus où donner de la tête. Et si- et si c'était la fin ? se répétait-elle, sans s'arrêter. Beren s'était demandée plus d'une fois jusqu'où elle était capable d'aller pour survivre. Elle n'avait jamais réellement fait face à cette situation. Comme beaucoup, elle s'était montrée méfiante à l'approche de Newhill, non pas par peur des Androïdes, mais bien parce qu'elle était persuadée qu'ils ne parviendraient pas à trouver un commun accord. Ou que du moins leur côté ne respecterait pas le marché passé. Un écho lointain s'était élevé dans les airs, mais elle était bien trop en sécurité du haut de sa colline pour se risquer des kilomètres plus bas. Saine et sauve avec Baz, qu'elle entraînerait encore moins dans tout cet enfer. Si fuir avait été la réponse attendue, et bien ce serait certainement la plus adaptée à la jeune Hirchner. Après tout, cette stratégie était utilisée depuis des millions d'années dans l'histoire de l'évolution, permettant aux espèces les plus vulnérables de persister au fil des grandes ères. Cette attitude ne la satisfaisait pas pour autant, car elle n'imaginait pas son instinct de survie basé sur de la simple fuite. En réalité, elle ne saurait dire jusqu'où elle pourrait aller pour à son tour obtenir le ticket gagnant de la sélection naturelle, à moins de se confronter à la situation en elle-même. C'était le genre de choses auxquelles elle n'aimait pas particulièrement penser. En revanche, ce dont elle est certaine, c'est que jamais, jamais elle n'abandonnerait ce frère pour sauver sa propre vie. Parce que pour elle, c'est ensemble ou rien du tout.

Elle finit par se réveiller, se réjouissant du fait qu'il ne s'agissait que d'un mauvais rêve, pourtant consciente que dans un futur proche, ça pourrait être la réalité.