Assise sur un banc, Neith laisse ses pieds se balancer dans le vide alors que son regard émeraude vient balayer la salle. Il y a trop de monde beaucoup trop de monde, comme d'habitude. Un soupir vient écorcher ses lèvres. La gamine se dandine, sa robe est un peu trop serrée mais elle doit faire avec. Lorsque sa famille a dû quitté l'Angleterre, ils n'ont pas pu emporter beaucoup d'affaires. Parfois Neith en rêve, de l'or à perte de vue, d'un château plus grand que tout ce qu'elle peut imaginer. Mais elle ne connaitra jamais le faste de l'ancienne dynastie des Windsor. Pourtant, quelques affaires subsistent, malgré les centaines d'années qui se sont écoulées. Elle n'aime pas vraiment porter ce genre d'accoutrement, mais elle se plie au bon vouloir de ses parents. Et puis, ça n'est que pour la soirée, la commémoration de la création de la Ruche par l'élite. Ils sont tous là, les Gates, les Chakir et évidemment les Bettencourt. Un mince sourire, ressemblant plus à une moue, se dessine sur ses lippes alors qu'un brun se rapproche d'elle. — Pourquoi est-ce que la princesse ne s'amuse pas ce soir ? Il fait une légère révérence, avant de venir prendre place à ses côtés. Le fils Bettencourt est plus âgé qu'elle, mais la poupée a toujours apprécié la compagnie des personnes plus vieilles qu'elle, sans doute parce qu'elle n'a pas la maturité des filles de son âge. — Je préfèrerais être dans ma chambre avec un livre, comme toujours. Un léger rire se fait entendre alors qu'il vient plonger son regard dans le sien. Ce n'est qu'à cet instant qu'elle réalise à quel point il est charismatique. Adriel a toujours eu beaucoup de succès, et en aura encore certainement, mais elle ne l'avait jamais vu comme ça. Elle comprend mieux pourquoi sa soeur semble être si intéressé par le jeune homme. Mais Neith n'est absolument pas intéressée par les frivolités de la sorte. Il s'agit juste d'un fait, il a un visage parfaitement symétrique et il dégage une aura apaisante. — Tu ne devrais pas être avec Andrew ? Je suis certaine qu'il te cherche. Le brun lève les yeux au ciel avant de secouer son visage. — Il peut bien attendre un peu. C'est toi que j'avais envie de venir embêter. Une mimique, à mi-chemin entre l'agacement et l'amusement, se dessine sur le visage angélique de la Windsor. — Et je t'ai ramené un jus de fruits. Ils étaient peut-être tous enfermés pour des siècles encore, les bonnes manières des familles aisées ne se perdaient pas. — Merci pour ce geste de galanterie Adriel. Elle attrape le verre qu'il lui tendait avant de le porter à ses lèvres. Malgré l'ambiance joyeuse de la soirée, elle ne peut pas s'empêcher de remarquer l'air grave sur le visage de son ami. — Quelque chose te tracasse ? Et ne me dit pas non, je sais quand tu me mens. Quelques secondes s'écoulent avant qu'il ne lui réponde, et pendant ce temps, elle a élaboré dix mille théories différentes, c'est l'inconvénient d'avoir un cerveau qui réfléchit plus vite que la moyenne.  — Est-ce que tu as déjà entendu parler de mariage de convenance Neith ? La gamine devait bien reconnaître qu'elle n'avait jamais réellement entendu ce terme, ce qui avait le don de l'agacer légèrement, elle qui aime savoir tout sur tout. — Et bien, il s'agit d'une union qui a été décidée par les familles des mariés vois-tu. C'était quelque chose de plutôt courant pour les gens comme nous, avant la guerre. Mais il semblerait que nos traditions persistent même ici. Maintenant qu'elle y réfléchit un peu plus, Neith a déjà entendu parler de mariages arrangés par les parents afin de garder une forme de pureté, plutôt que de se mélanger à des castes inférieures. Elle n'y avait jamais vraiment prêté attention auparavant, ne se sentant pas concernée, mais cela ne lui convient pas du tout. Elle n'a jamais imaginé se marier, mais si c'était le cas, elle souhaiterait que ça soit avec un homme dont elle est amoureuse. — Et c'est ce dont m'a parlé mon père. Mais j'ai refusé. De toute façon, il n'y a qu'une seule que je pourrais épouser parmi l'élite, et elle se trouve à côté de moi. Les joues de la gamine deviennent rouges alors qu'elle essaye de cacher sa gêne en baissant la tête. Elle ne sait pas quoi répondre. Il faut dire qu'elle ne s'attendait pas du tout à ça, pas du tout. — Je te taquine Neith. Mais je pense que si dans quelques années nous n'avons pas encore été mariés, nous pourrions peut-être le faire, surtout si nos familles insistent pour que l'on trouve un parti. Qu'est-ce que tu en dis ? La poupée rousse hoche de la tête. Après tout, ce plan ne semble pas si stupide. Adriel est un ami cher, cela ne serait pas désagréable de l'avoir à ses côtés tous les jours, c'est déjà un peu le cas.

Les talons de ses bottes martèlent le sol alors qu'elle arpente les rues de Newhill. A chaque recoin, la princesse est émerveillée de ce qu'elle voit. Après avoir passé toute sa vie dans la Ruche, un rien la passionne. Elle est impressionnée par toute cette technologie. Et puis, il y a l'air, enfin de l'air frais qui vient alimenter ses poumons. Sa chevelure rousse virevolte légèrement. Elle n'a pas eu le coeur à l'attacher aujourd'hui. Neith veut se sentir libre, après toutes ces années d'enfermement. Elle a l'impression de revivre enfin, ou presque. Si l'on se penche de plus près, il est possible de voir que ses mains tremblent, tout comme le reste de son corps. Derrière l'assurance qu'elle affiche, Neith est en manque. Cela fait des années qu'elle ne peut vivre sans un comprimé spécifique. Sans lui, elle ne peut rien faire, elle ne peut plus réfléchir correctement, elle perd toutes ses capacités, tout son discernement. Elle a eu l'information qu'un dealeur se trouverait juste en dehors de la ville. Et il lui faut une dose conséquente pour les prochaines semaines à venir. Habillée en noir, la Windsor presse le pas, ne souhaitant pas se faire remarquer. Pourtant, son regard émeraude est interpellée par une silhouette non loin de là.  Elle ne le reconnaît pas et suppose donc qu'il s'agit d'un androïde. Son allure est différente de celle des humains. Elle baisse rapidement son regard lorsqu'elle se rend compte qu'il avait également capté le sien. Son pas s'accélère un peu plus en direction de la sortie de la ville, mais le brun l'avait manifestement rattrapé. — Vous semblez bien pressée. Neith s'arrête et vient faire face à la machine derrière elle. Bien qu'elle habite désormais à Newhill, elle ne s'était jamais réellement approchée de si près d'un androïde. Elle a plutôt tendance à les fuir, plus par peur qu'autre chose. Elle reste cependant fascinée par ce miracle de technologie. Mais elle ne sait rien d'eux, elle n'a pas connu l'époque lointaine où ils servaient la race humaine. — Je m'appelle Nolan, et vous ? Elle se pince légèrement les lèvres avant de glisser ses mains dans ses poches. — Neith, Neith Bettencourt. Je suis.. — Une humaine, oui, je l'avais bien remarqué. C'est étrange d'ailleurs de voir une des vôtres sortant de Newhill. La poupée arque un sourcil. Le gamin semble bien intrusif, mais elle ne peut pas lui en vouloir, elle parait quelque peu louche à cet instant. — J'ai besoin d'être un peu dans la nature. Toute cette technologie me fait saturer un peu. Elle esquisse un sourire timide avant d'hausser ses épaules. — Je vois. Et bien, j'espère que vous reviendrez en un morceau, Neith Bettencourt. Je pense quand même que vous devriez rester entre les remparts de la ville. Mais si jamais vous êtes perdues, je saurais vous aider à retrouver votre chemin. Elle ne peut s'empêcher de laisser un rire effleurer sa bouche. L'androïde ne semble pas vraiment comprendre ce qu'elle peut trouver drôle dans cette situation. Peut-être ignore-t-il le passé d'esclaves de ses semblables. Peut-être pas. — Je vous en remercie, et je saurais vous le rappeler. Neith finit par se retourner afin de reprendre sa direction initiale. Ses muscles se détendent enfin, après avoir mis toutes ses forces pour cesser ses tremblements le temps de la conversation. Elle espère simplement qu'il ne l'aura pas remarqué.

Le froid vient lui fouetter le visage alors qu'il est difficile de trouver une parcelle de son épiderme qui ne soit pas emmitouflée. Sa longue chevelure rousse est coiffée en de multiples tresses. Neith s'enfonce un peu plus dans la pénombre alors qu'elle prend la direction de sa résidence après une journée plus que chargée. Adriel ne sera pas là pour l'accueillir ce soir, sa position lui demande beaucoup de temps mais elle ne lui en a jamais tenu rigueur. La Windsor le savait bien avant de prononcer ses voeux il y a déjà quatre ans. Ses bottes s'enfoncent dans la neige et le froid commence à se faire ressentir. Parmi une foule, il serait presque impossible de savoir à quelle caste appartient la poupée. Mais si l'on regarde de plus près, il est possible d'apercevoir des pierres briller. Et il y en a une qui scintille plus particulièrement : celle sur son annulaire gauche. Emmitouflée dans de la fourrure, elle peut déjà voir les diverses maisons se dessiner sous son regard émeraude. Un mince sourire vient étirer ses lèvres légèrement rosées alors qu'elle salue un autre membre de l'élite. Neith ne s'attendait pas vraiment à croiser quelqu'un d'autre à cette heure-ci. Il faut dire qu'elle préfère nettement le silence que le bruit d'une foule. Cela paraît étonnant lorsque l'on sait que la princesse est habituée aux mondanités que lui incombe son statut, mais elle n'en a jamais raffolé. Neith aime son confort, ou tout du moins, aimait son confort, celui qu'elle avait au sein de la Ruche, celui qu'elle a perdu du jour au lendemain. Elle n'est pas une fille du peuple, la gamine est bien trop maniérée pour ça, mais elle ne s'est jamais complètement sentie à sa place parmi l'élite non plus. La poupée a toujours apprécié diversifier ses relations, ce qui n'a pas toujours été au goût de ses parents, notamment de son père. Alors que ses pensées commencent à divaguer vers un visage précis, une légère effluve vient lui caresser le nez. Elle fronce son regard, sans pour autant s'arrêter.  — Alors Windsor, on ne prend même plus le temps de saluer un vieil ami ? Un soupir s'extirpe de sa bouche alors que son regard se lève vers le ciel. Neith finit par s'arrêter avant de se retourner, faisant ainsi face à ses démons du passé. La silhouette de Lazar se distinguait à peine de la pénombre, mais elle pouvait le reconnaître dans n'importe quelle situation. Ses bras viennent se resserrer un peu plus fort contre son ventre, afin de s'enfoncer encore un peu plus dans ses fourrures, jusqu'à disparaitre peut-être, cela aurait été plus facile.  — C'est Bettencourt depuis plusieurs années, tu devrais être le savoir. Son ton n'était pas sévère, juste un peu sec, suffisamment pour le garder à distance. Croiser le fils Orlov n'était jamais une partie de plaisir. Neith devait lutter contre elle-même durant chaque seconde qui s'écoulait. Le temps n'avait rien effacé, hélas. — Pour moi, ça sera toujours Windsor. Cela sonne mieux avec ton prénom. Enfin, je connais un patronyme qui été bien mieux. Neith contracte sa mâchoire et serre les dents. Elle déglutie si lentement qu'elle manque d'avaler sa salive de travers. Ses joues ont viré au rouge, mais elle mettra ça sur le compte du froid et de rien d'autre. Parce que après tout, il n'y avait rien d'autre, n'est-ce-pas ? — Tu frôles l'indécence Lazar. Tes familiarités ne sont pas les bienvenues. Un seul mot de ma part et tu te retrouves au trou. Elle ne baisse pas le regard, Neith. Il n'aura pas de contrôle sur elle, pas aujourd'hui. Tout ce dont elle rêve à cet instant, c'est d'un bain et d'un bon repas. Ses mains se mettent à trembler, l'obligeant ainsi à les fourrer un peu plus dans ses poches. — Pourtant mes familiarités n'avaient pas l'air de te poser problème lorsque nous sommes sortis de la Ruche. Enfin, si mes souvenirs sont bons. Peut-être que .. Le brun se rapproche de la poupée, jusqu'à sentir son souffle chaud se perdre dans le froid qui les entoure. — Tu trembles. Sa main vient se poser sur son épaule, avant de glisser le long de son bras. L'instant dure quelques secondes avant que la princesse ne recule d'un coup sec. — Laisse moi Lazar. Elle recule de quelques pas, avant de finir par se retourner pour reprendre son chemin initial, laissant l'intouchable seul.

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