le crime est la première réponse d'un peuple qui a peur ; kaori l'admet bien volontiers, et ne cherche pas à sermonner une populace qui se morfond d'une vie terrible. cette masse informe de visages contrits, tous affamés, tous terrifiés, tous au plus bas alors qu'on leur avait promis l'éden. des centaines d'années passées dans l'univers stérile de la ruche et voilà qu'on les jette dans le froid et la laideur d'un monde où la nature hostile refuse de leur donner des droits.

la criminalité, au fond, est la seule part de ce monde qu'ils peuvent contrôler : mains dans le sac du voisin, nourriture volée. mains dans les jupes de la voisine, innocence bafouée. mains sur la gorge de l'aîné, colère achevée. et de toute cela, kaori garde une opinion sans équivoque : le monde ne peut survivre dans un chaos le plus total, mais à quoi bon se soumettre à des lois qui ne profitent que les grands et les beaux de ce monde ? elle, enfant du bas peuple, elle, monstre de ladite secte, reléguée au rang d'animal de foire, moquée en public par les doigts pointés. intouchable et intouchée, seulement désirée dans le noir, corps voilé et sourire arraché par des lèvres exigeantes. à quoi bon se plier à des règles faites par d'autres êtres faillibles, destinées à les briser, à les garder ainsi, tous affamés, tous ignorants, tous esclaves ?

oh, kaori n'est pas contre ces criminels qui bafouent l'autorité publique. elle n'est pas même avec eux. mais elle est là, toujours, à leur chuchoter mille solutions. au lieu de l'insurrection, elle n'est que murmures rassurants qui promettent la providence, brillante et bienveillante, qui gardera leur pauvre carcasse de la chute en enfer quand le jugement dernier viendra, cruel et impitoyable. kaori voit dans la hausse de la criminalité une faillie non-négligeable et c'est dans cette foule d'amateurs terribles et ignares, dans ces mains baladeuses et ces sourires féroces qu'elle trouve les plus grands fidèles, ceux qu'elle façonne à son image et qu'elle rend dépendants de la divinité qui transpire de ses mots sacrés.

et il est vrai que kaori le fait bien : elle promet une vie meilleure au plus grand criminel, celui-là même qui n'a de toute façon plus rien à perdre et tout à gagner de suivre les pas qu'elle a tracés, puis met à profit ses ignobles talents pour qu'ils servent la cause de la guerre sainte. tous ceux que les grands rejettent, kaori les accueille, bergère qui a abandonné les moutons depuis bien longtemps et ne fait face qu'à un troupeau de loups.

un miracle, vraiment.

voix tentatrice teintée d'innocence ; personne ne se méfie du joli minois quand il se présente devant le méfait accompli, inconnu pris la main dans le sac. toujours là au bon moment, kaori, puisqu'elle a les oreilles fines et la main mise sur les coeurs les plus faibles : ceux qui ne joignent pas finissent par lui souffler tous leurs secrets, désireux de l'entendre chantonner une nouvelle fois les mérites d'un dieu qu'ils ont si souvent moqués mais qui semble être aujourd'hui leur seul salut. ils parlent, soufflent les péchés de leur voisin, désireux de connaître la fin de cette histoire qui ne peut que finir bien. et toujours, aimable et polie et souriante et foutrement accommodante, voix doucereuse, kaori leur offre ce qu'ils veulent, puisqu'elle-même a récolté déjà son dû : noms des criminels inscrits sur sa liste rouge, noms qu'elle annoncera d'une voix délicate, empathique, tant humaine qu'elle émeut au possible. parce que tous, le temps d'un instant, sous son regard conciliant, ont l'impression d'exister et d'être vu, d'être plus que de simples visages difformes.

kaori se présente comme l'absolution, et plus d'un l'accepte comme telle.

ces criminels, attrapés sur le fait, n'ont de toute façon plus rien à monnayer, si ce n'est leur liberté. alors quand un deal est proposé, contrat signé de leur sang, la messagère divine a tout l'air du diable dans son plus bel habit. et tous, d'une seule voix, finissent par dire oui.