Avec un soupir à peine dissimulé Madame Brekker observe l’écusson qui orne les nouveaux vêtements de son fils. Le rappel constant d’une gloire jamais atteinte. Mais un nouvel espoir renaît face à la bouille d'ange de l'aîné des Brekker. Alors, chaque soir et chaque matinée sont accompagnés de conseils, d’attention toute particulière, de recommandations. Le venin s’insinue dans l’esprit du jeune enfant. La tête remplie d’un rêve de grandeur, d’accomplissement. Pour que mes parents m’aiment, je dois réussir là où ils ont échoué. Pour que l’on m’admire, je dois apprendre à mentir. Le cœur se noircit, l’ego grandissant. Arrogant déjà, il s’en prend aux plus faibles. Se crée un groupe d’amis qu’il choisit avec soin, les affinités ne comptent pas dans la recherche du pouvoir. Olaf répand son fiel poison sur les plus faibles, sur les proies faciles. Mais surtout sur elle. Il ne sait pas bien ce qui le pousse à lui lancer autant de piques. Il devrait n’en avoir cure de cette fille étrange. Mais plus elle affiche un air d’indifférence, et plus la haine gonfle et s’insinue l’envie de voir cette armure s’effriter, s’effondrer.

Il y a tant de pression sur les épaules d’un si petit être. Elle devient son exutoire. Elle sera sa malédiction.


Les mains de soie s’activent sur le corps démembré. / Les mains de fer s’éloignent pour la énième fois de la peau de Genya.

La voix autoritaire et grave donne des ordres sans équivoque. Les infirmiers s’affairent autour du chirurgien. / La voix dure et suave se fait blessante, cassante, tente de briser ce lien qui le retient prisonnier. Les mots comme seule arme.

Le cerveau s’agite sous la pression de l’urgence. Automatismes appris par cœur. Le patient voit sa vie sauvée. / Le myocarde palpite et le cerveau s’embrume dans ces instants volés. Puis se ferme et se brise dans ce jeu dangereux. Dans cette dance macabre qu’il ne peut arrêter.


Peut-être la seule qu’il protège. De l’indifférence des parents, du poids de leur ambition. Elle a eu le malheur de naître femme dans une famille où l’ambition des hommes prédominent. Ils ont payé pour avoir l’enfant, et les parents ont la sensation de ne pas en avoir eu pour leur argent. Froids et durs, ils ne lui accordent pas un regard. Immature mais fier, Olaf la prend sous son aile. Geste si peu caractéristique de sa personne prétentieuse et fondamentalement égoïste. Mais elle brise un peu l’armure la petite. Elle invente en lui des paysages qu’il ne soupçonnait pas. Espoir peut-être ? ou simple désir de protection. Il ne sait ce qui s’agite sous sa poitrine quand elle pleure. Il ne sait ce qui s’éclaire dans son cœur quand elle rit. Dans un monde de manipulation et de tenue, il y a un endroit secret qui n’appartient qu’à eux. Dans un monde de guerre et de danger, il y a un lieu de lumière qui n’existe que pour eux.



 
Les pions sont placés sur l’échiquier de sa vie. Métier qui inspire reconnaissance, et un corps qui évolue vers les hautes strates de la Ruche. L’abeille travailleuse doit rencontrer une princesse. Conte de fée amer pour celui dont le cœur a été volé. Jaloux de tous ceux qui pourraient posséder celle qui lui appartient. Ironie quand on sait qu’il cherche à devenir celui d’une autre. Ils ont recommencé à se voir, mais lui n’abandonne pas sa cour auprès des autres. Olaf approche de son but, et plus il approche plus il a la sensation de se noyer, de ne plus savoir comment respirer. Comme à chaque fois, il va la blesser pour plaire aux parents et pour combler son ambition. Comme à chaque fois, le cœur s’enferme à double tour pour laisser place aux calculs du stratège. Rien ne doit compter autant que le Jeu du Pouvoir.

Il se fait froid comme la glace. Intransigeant comme l’acier. Pour elle. Il est mielleux et tout de douceur pour les autres.