Les lumières grésillent sur les silhouettes stoïques, armes entre les mains, braquées sur les siens. Il revoit cette scène avec clarté Adrian, se rappelle du sang qui a coulé cette nuit là, alors qu'ils tentaient tous de fuir face à la violence des androïdes. Ils n'ont pas tous eu la chance d'y arriver, malheureusement. Certains l'ont eu, mais à quel prix? Perdre un proche, être blessé, détenir désormais à tout jamais ce souvenir traumatisant dans leur mémoire. Le Windsor se rappelle des cris, de la panique qui s'est rapidement répandue dans les rangs humains. Mais cette nuit là, ce n'est pas que les androïdes qui ont eu leur peau. Les machines de guerre aussi, à peine ont-ils commencé à s'éloigner de la ville pour trouver refuge ailleurs. Et quand, enfin, ils ont réussi à établir leur camp dans les ruines de cette ancienne ville humaine, Adrian a passé des heures sans dormir, à s'occuper de ceux ayant besoin de ses soins. Il a vu le désespoir, la douleur, la tristesse, la mort, en face. Il a vu ce que les androïdes, ce que les machines leur ont fait. Et ça ne s'est pas arrêté à cette fameuse nuit. Ça a continué après, bien sûr. Et c'était déjà le cas depuis un an, depuis qu'ils avaient mis le pied hors de la Ruche. Un quotidien fait d'horreurs sans nom, de nuits qui ne semblent jamais être chassées par le soleil. Ça l'a changé, Adrian, d'être face à tout ça. Parfois un peu trop empathique, comme une éponge qui s'imprègne de la peine des autres. Il s'est laissé gagner par ces ressentiments. Proie facile, lui qui a déjà perdu son père lors de l'Exode. Alors il s'est mis à haïr tout ça, à haïr ce Nouveau Monde dont il ne connait pas grand chose. Après tout, l'inconnu a toujours fait peur aux Hommes. Il s'est mis à détester ce qu'il a considéré comme responsable de ses maux, et de ceux de leur société. Les androïdes, ces carcasses métalliques qui ont la prétention de vouloir exterminer ceux qui ont un jour été leurs maîtres, ceux qui leur ont donné la vie. Les machines de guerre, créatures de l'enfer qui ont semé la damnation sur leur précieuse planète.

« Adrian. » La voix d'Andrew l'arrache à ses mauvais souvenirs. Le regard du blon se lève et croise les prunelles de son double, parfait reflet de sa propre apparence. Le visage de l'aîné est simplement illuminé par la lueur des bougies et du feu qui réchauffe la pièce. Adrian n'est pas fermement opposé à la technologie, il ne peut pas l'être lorsque le confort de la Ruche lui manque, jour après jour. Chaque moment passé au camp lui rappelle douloureusement ce qu'ils ont perdu. Chaque heure passée dans leur hôpital de fortune lui rappelle leurs pauvres conditions. Mais Adrian pense fermement que la technologie a ses limites, et qu'elles ont été atteintes des siècles auparavant, lorsque les Hommes ont été détruits par leur propre ambition. Lorsqu'ils ont créé des êtres qui ont fini par se retourner contre eux. Alors, lorsque le cadet observe son frère, il ne parvient pas à le comprendre, ou du moins, il n'y arrive plus. Cet intérêt, cette fascination, pour cette race qui continue à faire couler leur sang. Il estime que son temps serait probablement mieux investi à exercer d'autres recherches, dans un domaine qui pourrait réellement leur être utile un jour. C'est comme ça qu'ils se sont éloignés, tous les deux, poussés à l'opposer par des idées et des convictions divergentes.  Et c'est difficile, d'autant plus à cette période, d'autant plus lorsqu'Adrian sait qu'il a besoin de son jumeau à ses côtés, mais que ce dernier est désormais incapable de le comprendre. Et il n'est pas le seul, Témyskira aussi. Il s'en rend compte, Adrian, mais il est trop tard pour faire machine arrière. Car ses convictions sont désormais ancrées en lui, et que si ses proches ne se rendent pas compte de la menace qui planent sur leurs têtes, c'est à lui de faire quelque chose pour les protéger. « Désolé, qu'est-ce que tu disais? »