la machine dysfonctionne. les connexions ne sont pourtant pas neuronales ; elles restent mécaniques. cependant le petit robot tremble de tous ses membres comme un enfant acculé par la froideur soudaine d’un hiver qu’on n’attendait plus. la logique cartésienne se dissipe doucement ; comme le brouillard dit adieu à la terre quand le soleil se fait trop fort pour que le combat reste équitable. un programme. inséré dans sa fragile tête factice, courant le long de câbles dissimulés par une apparence humaine. brillante invention sans doute ; en des temps révolus. parodie d’existence aujourd’hui. des corps parfaits, superficiels et réglés comme des horloges déambulant quotidiennement au milieu des restes d’une humanité abimée pour l’éternité. sourires artificiels et poignées de main connectées. le voilà qui suffoque. pourquoi ? jamais auparavant il n’a eu l’impression de se noyer comme aujourd’hui. se noyer. mourir asphyxié par l'effet de l'immersion dans un liquide. mais se noyer, c’est quoi ? à quoi ça ressemble pour de vrai ? son cœur n’explosera pas malgré les vagues d’émotions qui le frappent successivement comme un bateau perdu en pleine mer. son cœur ne flanchera pas car il n’en possède pas. mais celui des humains ne le fait pas non plus, n’est-ce pas, s’autodétruire à la moindre secousse psychique ? alors comment font-ils pour supporter…ont-ils un jour trouvé le moyen de mettre en sourdine toute cette humanité ? si humanité il y a lorsqu’on parle d’un androïde. non, sans doute pas. tout ça est bien trop antinomique. le cœur des machines. qui serait assez fou pour y croire ? des robots bardés d’un millier de nouvelles émotions. qui voudrait assister à une telle apocalypse. pas étonnant que les humains aient paniqué il y a de cela des siècles déjà. mais l’histoire se répète toujours.

« avēdis. avēdis ! le chien réclame ton attention. où est-ce que tu t’envoles chaque jour comme ça ? »<

elle ne comprend pas. évidemment qu’elle ne comprend pas. elle ne peut tout simplement pas, puisqu’elle n’est pas faite comme ça. lui non plus. enfin il voudrait le croire mais la réalité est effroyablement différente. des choses ont commencé à se faufiler dans des interstices dont il ignorait l’existence. ces mêmes interstices sont devenues des fêlures qui elles-mêmes se sont muées en failles qui n’ont de cesse de s’agrandir. bientôt elles seront béantes. mais il ne veut pas y croire. il voudrait que les choses restent comme elles l’ont toujours été. pourtant la diode clignote frénétiquement. aussi vite qu’il perd ses moyens.

« il ne va pas mourir s’il n’en reçoit pas.
-qu…quoi ? avēdis, qu’est-ce que tu racontes ?
-il n’est pas vivant. il n’existe pas à proprement parler. il ne lui arrivera rien si je ne m’occupe pas de lui dans les dix prochaines minutes. en conséquent ton exhortation frénétique à le faire est inutile et fatigante. sans compter que tu fais beaucoup de bruit. pour rien.
-avēdis, qu’est-ce que…le chien… »

il sert le point. il y a des choses plus importantes qui comptent là tout de suite. cette créature créée de toutes pièces par ses semblables peut attendre. il essaie de comprendre ce qui cloche. pourquoi tout est vague tout d’un coup. rien ne lui a jamais paru autrement qu’extrêmement clair. l’avantage d’avoir été conçu par un génie sans doute. le chien, une conception également. une machine. les androïdes ne sont pas plus réels que lui. son regard dérive. il a les yeux posés sur elle et pourtant il jurerait pouvoir observer à travers. sauf qu’il ne distingue rien d’autre que du vide qui le renvoie aux pérégrinations de son esprit malade. évidemment que ce n’est pas normal de ressentir de telles choses.

« le chien réclame ton attention avēdis. qu’est-ce qui t’arrive ? avēdis, il faut que tu t’occupes du chien. le chien a besoin de toi. avēdis ! »

le bourdonnement dans sa têtes s’est accentué. les sons lui parviennent tous de manière diffuse et parfois même inintelligible. mais il croit comprendre qu’elle continue à parler de ce stupide chien. et lui qui le regarde avec tout l’espoir du monde dans ses pupilles qui n’ont rien de réel. elles sont si irréelles qu’elles en deviennent presque effrayantes. il n’avait jamais remarqué ça avant aujourd’hui. ce truc n’a décidément rien d’un chien. pas plus qu’il n’est ou ne sera jamais humain. mais qu’en est-il de sa condition d’androïde ?...la voilà qui l’invective plus fort. elle a haussé le ton pour obtenir une réaction cohérente, en pion bien discipliné. comme le veut la logique du programme. la bonne ligne de conduite.

« avēdis si tu continues à agir aussi bizarrement je vais devoir en parler. ta diode elle… »

le voilà qui la saisit par les épaules. il l’empoigne avec force, d’abord dans le simple espoir qu’elle se taise. mais elle continue à s’égosiller. évidemment puisqu’elle ne connaît pas la peur. tout ce qui importe est l’efficacité. obtenir un résultat quoiqu’il arrive. il se met à la secouer. doucement dans un premier temps, pour qu'elle se résolve enfin au silence. mais rien ne se passe, alors il la secoue plus fort. poupée de chiffon. machine désincarnée. un humain se serait déjà mis à crier, mais elle rien ne l’arrête dans son speech millimétré.

« avēdis il faut que tu arrêtes d’agir comme ça. sinon je vais…
-ME DÉNONCER ? C’EST ÇA ? »

le sang froid s’enfuit. il s’éloigne à grands pas. rien ne peut plus stopper le débordement.

« tu vas agir en bon petit soldat et leur dire que je mets en péril la communauté ? que parce que je ne supporte pas ta voix nasillarde et ton incessante envie de me faire obéir comme un automate je suis l’ennemi à abattre ? tu vas te présenter devant les autorités avec ce sourire poli que personne n’arrivera jamais à t’arracher et leur dire que je suis passé du mauvais côté de la barrière ? n’est-ce pas ? tu vas me vendre alors qu’on se côtoie depuis des années car tu ne connais rien à la loyauté ?…et…je…
-ta diode avēdis. »

elle est rouge écarlate. il le sait déjà. il en a la certitude. elle brille comme un petit rubis incrusté dans son visage. elle est le reflet d’une honte qui ne dit pas son nom mais également une toute nouvelle cible qui quoiqu’il arrive l’accable aux yeux de la bienpensance mécanique.

« un déviant. tu vas leur dire que je suis un déviant. et qu’il faut mettre un terme à mon existence. si toutefois existence il y a.
-elle est rouge, ta diode. »