Ils étaient là tous les trois, les trois descendants Orlov. Une famille réunie. Enfin, presque. Parce que Silas l’avait toujours en travers de la gorge, l’assassinat de leur mère. L’assassinat de celle qui leur avait donné naissance. Il enrageait, chaque jour, chaque seconde, chaque fois que le mot « androïde » était prononcé. Des carcasses sans âme, responsable de la disparition de la mère Orlov. L’aîné comptait bien les faire payer, et au plus vite. C’était probablement son seul but, sa seule et unique mission. Il voulait seulement combler ce vide qui était apparu depuis le tragique événement, recoudre cette cicatrice béante. Faire cesser cette douleur sourde, et surtout, faire exploser cette colère fulminante. Il voulait saisir sa vengeance, et exterminer les responsables jusqu’au dernier. Faire s’écouler chaque goutte de ce sang bleu et blasphématoire. Mais Silas, il savait qu’il pourrait compter sur son frère, Lazar. Son cadet, qui avait rejoint la Main plus récemment. Il était devenu un allié de premier choix, un soutien indéfectible dans sa quête macabre. Avoir un frère à ses côtés, ça n’avait pas de prix. Et ça Silas le comprenait bien, même si leur relation n’avait jamais été la relation la plus soudée qu’on pouvait connaître. Faire partir de la même organisation rapprochait, et Silas comptait bien profiter cette opportunité pour attirer son petit frère encore plus profondément dans les filets punitifs de la secte. Quant à sa sœur… Les choses étaient bien plus compliquées. Il ne la comprenait pas, ne parvenait pas à concevoir qu’elle ne les rejoigne pas dans leur cause. Cette dernière était pourtant si juste. Elle aussi, avait perdu sa mère à cause des androïdes. Et pourtant, elle ne suivait pas leur chemin. Alors cette incompréhension subsistait entre eux, la distance se creusait. Silas l’aimait pourtant de toute son âme, sa petite sœur. Il mourrait pour elle, mais il n’arrivait pas à approuver ses idéaux. Il y avait cette barrière, presque infranchissable, qui s’était élevée entre eux. Et aucun des deux ne semblait vouloir la surmonter.

Pourtant il était là Silas, avec sa fratrie, à suer, esquiver, frapper, observer, analyser. Un entraînement à trois, avec les autres Orlov, il n’y avait que ça de vrai. La survie ne s’apprenait pas en claquant des doigts, et s’ils ne voulaient pas finir comme leur mère, et tant d’autres de leurs semblables, ils devront être toujours plus forts. Rapidité, endurance, force, sang-froid, ils devaient tous les apprivoiser. Ils n’avaient pas le droit à l’erreur. Et sur ça justement, Silas était intransigeant. Ne supportant l’échec, ne supportant la faiblesse de son sang, il plissait les yeux, à chaque petite erreur. Car ces erreurs, elles pourraient leur coûter la vie, dans d’autres conditions. Et quand bien même Silas se voyait être responsable de certaines erreurs également, il n’était qu’un humain après tout, il ne laisserait personne se permettre de lui dire. Lui rappeler qu’il n’était pas irréprochable, qu’il avait parfois quelques défaillances, il ne le supporterait pas. Alors de ses yeux plissés, il observe ses cadets, s’affrontant l’un contre l’autre. Rien de dangereux, ce n’était pas de vraies armes. Mais celles-ci étaient assez efficaces pour retenir la leçon, en cas de défaite. Leurs mouvements étaient adroits, rapides, et aucun des deux ne semblait prendre le dessus. Jusqu’à un léger faux pas de la cadette, un simple petit moment d’hésitation, et l’arme de Lazar se retrouvait collée sous sa gorge. Les bras croisés, Silas fit un pas vers les deux combattants. Le formateur dans l’âme parlant probablement à la place du grand frère, Silas s’adressa à Azula, sans réelle douceur. « Si ça n’avait pas été Lazar, tu serais morte, Azula. » Sa voix était ferme, abrupte, et dans son regard, une insensibilité totale. « Comptes-tu finir comme notre mère ? » Les mots semblaient durs, cinglants, mais ils laissaient transparaître une certaine affection. Affection qu’il ne désirait pas montrer, mais il préférait qu’elle le déteste et survive, plutôt que le contraire. Il finit par soupirer, en secouant la tête. « À la Main, tu te serais un peu plus endurcie. » Il jeta un œil à Lazar, qui lui, avait fait le bon choix. Si seulement il parvenait à rallier la cadette à leur cause, il n’en serait que plus satisfait.

Leurs sessions d'entrainement sont toujours intenses. Ils refusent de s'autoriser à accepter un autre rythme, car leur univers est impitoyable, et que la vie ne leur fera pas de cadeau. Azula évite, frappe, elle se défend et attaque, tente de rendre les coups que son frère lui offre sans l'épargner. La mâchoire serrée, elle se concentre sur le combat qui se joue là comme si sa vie en dépendait. Ça n'est pas le cas, car c'est Lazar qu'elle a en face d'elle, mais ça pourrait très bien être quelqu'un d'autre, un jour. Un androïde, par exemple. Une machine de guerre, aussi, même si celles-ci ne se battent pas de la même manière qu'eux. Silas les observe, l'exploratrice sent le regard de son aîné sur elle, sur eux. Elle sait qu'il ne l'épargnera pas, qu'il ne cherchera pas à enjoliver les vérités qu'il lui balancera au visage. Les coups se succèdent toujours, mais la cadette n'est pas aussi endurante et expérimentée que son frère. L'épuisement se fait ressentir et bientôt son attention se fait moins fine, son souffle un peu plus court. Elle tente une dernière action, espérant pouvoir prendre Lazar par surprise, mais ce dernier ne lui en laisse pas l'opportunité. Un simple faux pas, un moment d'inattention, et la lame vient se loger contre sa gorge. Tous ses muscles se tendent, Azula retient son souffle l'espace d'un instant, avant que son frère ne relâche sa prise. La jeune femme le pousse doucement, comme une enfant qui chahute, l'ombre d'un sourire accrochée aux lèvres. Son regard se pose ensuite sur Silas, qui s'approche d'eux, la mine sévère. Azula a l'impression d'être une enfant à nouveau lorsque son aîné la regarde ainsi, et qu'il lui parle sur ce ton. Les mots sont incisifs, mais l'Orlov ne flanche pas. La colère monte rapidement, ajoute un peu de pourpre à ses joues déjà rosies par l'effort. « Ne parle pas de maman comme ça. »  Elle soutient le regard de son frère et ce malgré les souvenirs douloureux qu'il fait remonter à la surface. Depuis que leur mère est morte, la brune s'est efforcée d'enfouir ce souvenir au plus profond de son âme. De l'oublier, pour oublier par la même occasion la peine. Et ça fonctionne, la plupart du temps. Ça fonctionne, lorsque Silas  n'est pas là pour le lui rappeler. Ça fonctionne, lorsqu'elle ne croise pas le regard de son père et voit le néant s'y refléter. En réalité, cette technique est loin d'être infaillible, mais c'est tout ce qu'Azula a trouvé pour supporter la douleur. Et le simple fait que Silas l'empêche de mener à bien cette tactique lui donne envie de lui crier dessus, de le frapper, de laisser déborder sa colère et son amertume. Pas seulement pour ça, mais pour beaucoup d'autres choses aussi. Pour cette Main, dont il ne cesse de chanter les louanges, comme s'ils possédaient la solution à tous leurs problèmes. Azula n'y croit pas, à tout ça et elle aimerait que ses frères puissent ouvrir les yeux, qu'ils puissent se détacher de cette organisation nocive. Elle aimerait pouvoir le secouer, le forcer à voir ce qu'elle voit et ce que lui semble incapable de réaliser par lui-même. Elle ne parvient pas à comprendre ce qui a pu leur arriver. Cet événement qui aurait dû les rapprocher n'a fait que les éloigner davantage. Tous piégés par leur peine, incapables de la partager les uns avec les autres. Azula a le cœur lourd, mais elle n'en fera pas part à Silas, ni à Lazar, car c'est comme ça qu'ils fonctionnent, désormais.

Aussi vite que la colère est arrivée, elle disparaît, remplacée par de l'exaspération. C'est souvent l'effet que le simple mot "Main" a sur elle. Le regard ambré se lève vers le ciel, Azula ne cherche pas à cacher son agacement face aux paroles de son frère. « Plutôt crever que de devenir comme toi, un chien à la botte de ses maîtres. » Les mots sont durs, mais la jeune femme espère éveiller quelque chose en son frère, lui faire prendre conscience de sa situation. L'espoir est infime, car l'empreinte de la main sur l'esprit de Silas est profonde, mais Azula est tenace, persévérante. Un sourire insolent vient fendre son visage. « Tu parles beaucoup, Silas, alors je pense tu devrais montrer l'exemple. »