Les souterrains. Les sombres, lugubres, insalubres souterrains.
Elle y traine sa vieille carcasse de métal depuis plusieurs siècles maintenant, Satine. Malgré sa mémoire brouillée, elle se rappelle encore vaguement de sa descente dans les tréfonds de la ville, lorsque la déviance commençait à peine à ronger ses tripes, comme la rouille ronge aujourd'hui son armature. Secouée de sentiments nouveaux et terrifiants. Indomptable androïde, vue comme une menace par ses semblables. Elle se souvient du violent rejet subi et de l'angoisse qui ébranlait tout son être, à l'idée d'être infestée par la maladie. Réduite à l'état d'inutile et fragile boite de conserve. Elle se souvient aussi de ce doux sentiment, lorsqu'elle s'est enfin sentie à sa place de nouveau, après de trop nombreuses années glissées contre sa peau inchangée. Sa place, elle l'a trouvée Ici, au fin fond des artères obscures de l'underground. Et elle l'occupe depuis de nombreuses années dorénavant. Figure maternelle pour ces androïdes nouvellement infestés par la déviance. Maladie néfaste aux yeux de la matriarche. Cette place, elle n'aurait jamais cru l'occuper, il y a de cela près de cinq siècles, lorsqu'elle chantait encore sur les planches d'un magnifique opéra, tout en acier et miroirs. Acclamée par la foule humaine, excellant dans ce pour quoi elle avait été fabriquée : chanter. Aujourd'hui, tout est si différent que cela en est vertigineux. Mais Satine a appris à se complaire, dans cette nouvelle vie. Même si le chemin fut éprouvant et bien trop long.

Elle marche seule, d'un pas décidé, en direction de l'habitation d'un de ses protégés. Un de ces trop nombreux adolescents en pleine rébellion, piégés dans un corps adulte et bouillonnant de sentiments explosifs. Prendre des nouvelles sur l’avancement de la déviance chez ses pupilles fait partie du quotidien de l'androïde. Mais elle est soudainement arrêtée dans son élan, lorsque son regard croise une mystérieuse silhouette féminine qu'il lui ait difficile de clairement discerner dans l'obscurité des souterrains. « Bonjour ? » Satine ne la reconnait pas. Serait-ce une nouvelle âme en peine, en quête d'un semblant de protection et d'aide ? La matriarche tente de distinguer la lueur de la lentille rouge qui éclaire habituellement la tempe des déviants. Mais elle n'y parvient pas. L'aurait-elle arrachée ? Les sourcils arqués, Satine avance prudemment. Elle le sait, les jeunes déviants sont connus pour leurs crises de colère brutales et indomptables. Satine avance, inconsciente du potentiel danger que représente cette silhouette inconnue dans la pénombre. Certaine qu'il est de son devoir de lui venir en aide.
Car telle est sa place, durement gagnée, désormais.