Oksana quitte la salle de réunion sans un regard en arrière. Sa LED s'agite, encore au jaune après toutes les informations qu'elle vient d'étudier aux côtés des autres dirigeants. Les éclaireurs viennent de revenir et de faire leur rapport sur les environs de Newhill. Aucune trace des humains pour l'instant. Mais tous sont d'accord sur un point : ils ne sont pas définitivement partis. Historiquement, il est certain qu'aucun groupe d'humains n'abandonnerait la conquête d'un bastion. Surtout dans leur situation extrêmement délicate, sans aucun autre abri viable à des centaines de kilomètres à la ronde... Peut-être même, à la surface du globe. Reste à déterminer leurs plans et à trouver leur camp.

De l'avis d'Oksana, rester sur leurs défenses sans chercher les humains est la meilleure méthode d'approche. Elle accorde à leur système de sécurité une confiance sans failles. Mais rares sont ceux à partager cette vision des choses, parmi les dirigeants.

Elle est encore plongée dans ces réflexions tandis que ses pas l'entraînent vers l'ascenseur, Ana à sa suite. L'étage des analystes est sa destination, puisqu'elle compte s'entretenir une énième fois avec Nolan au sujet des humains. Oksana déteste ne pas avoir d'avis tranché sur une question, et c'est exactement l'effet qu'ont ces créatures de chaire et de sang sur elle. L'analyste a beau l'avoir convaincu qu'il fallait les chasser, elle reste incertaine de la marche à suivre, et surtout récalcitrante à l'idée de tous les tuer.

Des bruits de course interrompent ses ruminations. Oksana se fige, de même qu'Ana, face à la scène qui a soudain lieu sous leurs yeux synthétiques. Un androïde, mécanicien à en juger par ses vêtements, tente d'échapper à deux androïdes policiers. Il bouscule les autres sur son chemin, courant comme un fou. Même à une dizaine de mètres, sa LED brille assez fort pour que tous en remarquent la couleur rougeoyante. Chacun se pousse pour éviter d'être pris dans cette altercation ; il n'est plus qu'à quelques mètres d'Oksana et d'Ana quand les deux guerriers plaquent le déviant au sol, malgré ses cris de protestations.

Ce manège, ce n'est pas la première fois qu'Oksana y assiste. Pour autant, il n'y a rien d'agréable à voir ses camarades tomber en disgrâce de la sorte. Dysfonctionner. Quelques émotions répondent à cette vision, sans qu'elle en soit secouée pour autant. Une légère peur, à l'idée de terminer de la sorte si son programme devenait à son tour déficient. La lassitude et l'agacement, de voir sa chère Newhill ainsi gangrenée. Elle jette un coup d’œil en biais vers Ana, se souvenant de sa présence. Ce n'est pas par mépris qu'elle oublie parfois sa secrétaire, mais plus par habitude. Trop concentrée sur ses affaires, Oksana n'a pas toujours conscience qu'elle n'est pas seule, qu'elles sont à deux dans ce bateau. Sa LED reste jaune quelques secondes de plus, tandis qu'on emmène le paria. Il serait très vite réinitialisé. Par dessus son épaule, elle adresse un sourire poli à celle qu'elle considère comme une collègue plus que comme une employée. « Prenons une pause, tu veux ? Pourquoi ne pas sortir un peu ? »