Sur deux colonnes compactes, les quatre androïdes piétinent l’orée de la forêt depuis les primes frimats de l’aube. Ils cheminent une fraction du périmètre dans un sens, puis ils rebroussent méthodiquement chemin. Pas un boqueteau n’est laissé en paix, à l’abri de l’inspection, pas plus qu’un amas de rochers dont l’on trouve curieux – il faut traduire : suspect – qu’il soit déneigé. Avec le bout de son arme automatique, l’un d’eux s’avance. Il penche le museau après que son canon soit demeuré intact. Il ne flaire rien d’anormal – il faut traduire : dont un animal robuste serait responsable – et toute la troupe reprend la sentinelle. Leurs semelles crottées s’enfoncent dans vingt centimètres de poudreuse. Ils en ont jusqu’aux chevilles. Aucune d’eux n’éprouve le froid, qu’à peine la lourdeur de ces pas qu’il faut tirer de chaque ornière et poser plus avant. Hen (le plus récemment sorti d’usine) est le seul qui fasse montre d’humeur. Rien de déviant ; broyant une canette de Cyber10 entre ses doigts, il se languit d’affronter des machines de guerre, qu’il ne connaît que par l’école complice de la mémoire centrale. À deux coudes de là, Francesca lui balance l’œil blasé de l’androïde qu’on a déjà balancé dans la gueule des ces monstres. Iel n’a pas l'ombre d'une peur mais les images de charpie mécanique en série lui passent le goût de l’impatience.

Lorsqu’il le faudra, ils iront. Ils iront sûrement se faire mettre en pièces, oui, cela sans plus interroger le bien-fondé de leur résolution sage et disciplinée.

Le peloton est près d'estimer que les forces sont reconstituées lorsqu'un mouvement se dessine à l'oreille avant que d'être en vue. Ils ont tous les six le pouce à la sécurité et l'index à la gâchette. Francesca est aux devants ; iel est plus âgé·e et la statistique pousse leurs intelligences mêlées à croire que ses pièces sont plus dispensables, aux dépens de sa mémoire et des réflexes acquis à son flanc. L'embuscade est tissée lors que trois silhouettes émergent du sous-bois. « À TERRE ! est le ton du soldat qui ne semoncera pas une autre fois avant d’ouvrir le feu. » Chacun des six androïdes en maraude a l'autorisation, ou le devoir, de mettre les déviants aux arrêts. À cette fin, presque toutes les violences sont permises. Pourtant, l'exécution est différée après qu'un tressaillement de conscience soit pratiquement passé d'un androïde à l'autre. La crainte piquetée de haine dans les regards de leurs cibles est inhabituelle, presque primitive. « À TERRE ! » Franky flatte l'arrière d'un genou avec un coup sec du talon. L'inconnu s'écroule dans la neige. Le reste est une confusion de commotions et de détonations jusqu'à ce qu'un râle attire toutes les mirettes à la carcasse geignarde. La neige est rouge, d'une nuance qu'aucun franc-tireur n'en a jamais vu. « Qu'est-ce que c'est ? demande Hen. » À propos de quoi ? Ils n'en savent rien. « La question, c'est plutôt qui c'est, lui répond un autre. » Un des compagnons du mourant a frappé vide dans le flanc de Francesca, si bien qu'iel retire la lame avec la même sensiblerie que s'il s'agissait d'une aiguille. La figure de son prétendant-meurtrier a viré cramoisi : moitié de stupeur effrayée, moitié de douleur car son bras est désormais tordu selon un angle déplaisant. « À terre, j'ai dit. » Comme iel s'est déjà par trop de fois répété·e, Franky l'accompagne d'une bonne poussée sur son épaule invalide. Alors le dernier s'exécute sans faire d'histoire. On les dépouille de leurs armes - rudimentaires. On leur inspecte la trogne - usée. De ce jour, Franky se souvient deux choses : ils puaient une odeur rance, inconnue de sa banque olfactive, et iel était alors convaincu·e que cette rencontre prématurée n'aurait jamais de conséquences.